Paris 2024 : on vous explique comment franceinfo a analysé les données sur la qualité de l'eau de la Seine

Article rédigé par Mathieu Lehot-Couette
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9 min
Selon les résultats d'analyses obtenus par franceinfo, le fleuve parisien n'atteint toujours pas la qualité attendue pour un plan d'eau ouvert à la baignade. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)
Franceinfo a épluché 1 473 lignes de résultats bactériologiques obtenus des services de la ville de Paris. Voici notre méthodologie détaillée.

C'est un trésor de données qui n'avait encore jamais été partagé publiquement. Franceinfo a pu consulter une partie des résultats des analyses bactériologiques de l'eau de la Seine détenus par les services de la ville de Paris. Ces mesures sont produites pour évaluer si la qualité de l'eau est suffisamment bonne pour pouvoir s'y baigner.

Durant notre enquête, franceinfo a découvert que des athlètes ont nagé dans des eaux trop polluées au moins une journée, le 18 août 2023, et qu'ils ont été autorisés à s'entraîner le 16 août malgré des niveaux de pollution trop élevés constatés la veille.

Les données permettent également de montrer que le fleuve parisien n'atteint toujours pas la qualité attendue pour un plan d'eau ouvert à la baignade. Comment franceinfo a fait ses calculs ? Explications en trois points.

1 Des données fournies par la mairie de Paris...

Après l'obtention des JO de 2024, le Service technique de l'eau et de l'assainissement (Stea) de la ville de Paris a amassé une grande quantité de mesures de qualité de l'eau de la Seine pour la baignade. Ces analyses font état des concentrations de bactéries indicatrices fécales (BIF) relevées dans le fleuve parisien. La présence de deux bactéries est mesurée : les escherichia coli (E. coli) et les entérocoques. Il s'agit de germes présents dans les intestins. S'ils sont repérés en trop grande quantité dans l'eau, alors la baignade est considérée comme trop dangereuse.

La base de données détenue par la ville de Paris a été présentée en 2021 au cours d'un colloque de recherche sur la Seine. Il a alors été fait état de 93 stations de mesures suivant la quantité de bactéries indicatrices fécales dans la Seine et ses affluents, en amont, en aval et dans Paris. La base contenait alors 8 690 lignes de données enregistrées depuis 2015. Elle a grossi depuis avec l'ajout des résultats des étés 2022 et 2023. C'est sur la base de cette description que franceinfo a demandé à pouvoir avoir accès aux données détenues par la ville de Paris.

Carte des quatorze points de prélèvement des résultats fournis par la ville de Paris à Franceinfo, avec la distinction entre la rive droite (RD) et la rive gauche (RG). (document de la ville de Paris)

En réponse, nous avons reçu les résultats des analyses de 14 points de prélèvements répartis entre l'entrée et la sortie de la Seine de Paris. Cet ensemble contient 1 473 résultats bactériologiques produits à des fréquences différentes selon les années et les lieux. Le plus souvent, les analyses sont effectuées à un rythme hebdomadaire. Certaines ont été faites quotidiennement, notamment sur le futur site olympique entre le 19 juillet et le 30 septembre 2023. Les résultats sont indiqués en nombre le plus probable pour 100 ml (npp/100 ml). Cette unité de mesure est équivalente aux unités formant colonies  pour 100 ml (ufc/100 ml) qui sont utilisés dans les textes réglementaires.

Certains résultats d'analyse ne sont pas renseignés dans les fichiers transmis à franceinfo. Ainsi notamment de ceux du 17 août sur le futur site olympique, pendant les épreuves de triathlon, ou encore du 29 juillet, au lendemain de la journée la plus pluvieuse de l'été sur la capitale. Dans ces deux cas, la ville de Paris fait valoir des erreurs de manipulation en laboratoire. Toutes les données transmises par la ville de Paris à Franceinfo peuvent être téléchargées ici.

2 ... évaluées en fonction des critères des fédérations sportives

Les fédérations de natation et de triathlon ont leurs propres règles pour veiller à la qualité sanitaire des lieux qui doivent accueillir des compétitions dites en eau libre. Ces normes sont consultables dans leurs règlements : pages 198 à 207 pour celui de la Fédération internationale de natation et pages 69 à 73 pour la Fédération internationale de triathlon.

Les deux fédérations partagent un barème commun. Celui-ci permet de classer un lieu de baignade en fonction des taux de bactéries indicatrices fécales relevés sur place, de l'apparence de l'eau et des conditions météorologiques. Ce classement se fait à l'aide d'une échelle de notation qui va de 1 à 4. A 1 la qualité de l'eau est jugée excellente, à 2 elle est bonne, à 3 elle est moyenne et à 4 elle est mauvaise.

En se basant sur cette matrice, il est possible de qualifier la qualité de l'eau chaque jour à partir des analyses bactériologiques produites quotidiennement à Paris l'été dernier. Un dispositif de surveillance renforcé a en effet été mis en place entre le 19 juillet et le 30 septembre 2023, sur quatre points de prélèvements répartis sur le futur site olympique, entre le pont Alexandre III et le pont de l'Alma.

Répartition des points de prélèvement sur le futur site olympique, pendant l'été 2023

Source : Ville de Paris

Crédits : Franceinfo / Héloïse Krob

Franceinfo a isolé chaque jour le plus mauvais résultat sur ces quatre points de prélèvement, conformément à la méthodologie indiquée dans les règlements des fédérations. Puis la qualité de l'eau a été classée comme mauvaise (avec une note de 4) si les concentrations en E. coli étaient supérieures à 1000 ou celles en entérocoques supérieures à 400. En cas d'E. coli entre 500 et 1000 ou d'entérocoques entre 200 et 400, l'eau a été classée comme pouvant être bonne ou moyenne (avec une note de 2 ou 3). Et avec moins de 500 en E. coli et moins de 200 en entérocoques, l'eau a été qualifiée de bonne ou excellente (avec une note de 1 ou 2).

Qualité de l'eau en août 2023 sur le futur site olympique

Source : Ville de Paris

Crédits : Franceinfo / Héloïse Krob

Cette visualisation montre que les athlètes ont été autorisés à nager dans la Seine malgré des niveaux de pollution trop élevés entre le 16 et le 18 août. Pour justifier ces autorisations, les organisateurs rappellent que les décisions ont été prises chaque jour avec les résultats de la veille. La Fédération internationale de triathlon rappelle également que les résultats des tests en laboratoire ne sont pas le seul facteur pris en considération. L'aspect visuel de l'eau ainsi que les conditions météo sont également pris en compte.

3 ... et des avis consultatifs de l'Agence régionale de santé

L'Agence régionale de santé d'Ile-de-France (ARS) a été saisie au mois de juillet 2023 par la préfecture de la région pour rendre un avis sur la qualité de l'eau de la Seine en vue des épreuves du mois d'août. Il s'agit d'une procédure classique faite à titre consultatif, rappelle l'ARS à franceinfo : "Les préfets ont la possibilité de saisir l'ARS pour un avis sanitaire (consultatif) sur ce type de manifestations. Un grand nombre d'avis sont ainsi établis par l'ARS, favorables ou défavorables."

Franceinfo a pu avoir accès à l'ensemble des avis sanitaires rendus par l'ARS d'Ile-de-France depuis 2019. Ces documents nous ont été fournis à la suite d'un avis favorable rendu par la commission d'accès aux documents administratifs (Cada). Ce corpus comprend 191 avis sanitaires pour l'ensemble de la région Ile-de-France, dont 49 pour la seule ville de Paris. Toutes ces notes sont adressées à la préfecture de la région. Elles concernent des demandes d'autorisation pour des activités nautiques ou de baignade dans la Seine.

En réalité, jusqu'alors, tous les avis avaient été défavorables pour des compétitions sportives impliquant de la nage ou le risque de tomber dans l'eau comme le stand-up paddle. Deux de ces avis défavorables ont été rendus en juin 2023 pour des manifestations prévues au début de l'été. L'avis du 25 juillet 2023 est le premier à avoir été favorable pour une activité de baignade dans la Seine. Les autorités sanitaires y donnent leur aval à l'organisation des épreuves tests prévues en août malgré une eau encore de qualité insuffisante selon les analyses effectuées en juin et en juillet dernier.

L'ARS évalue la qualité de l'eau pour les activités de baignade en appliquant la directive 2006/7/CE. Il s'agit de la réglementation européenne appliquée pour les plans d'eau où la baignade est ouverte au public. L'ARS explique avoir recours à ces normes "en l'absence de cadre réglementaire relatif aux manifestations ponctuelles incluant une activité de natation". Cette directive impose que la qualité de l'eau soit au moins suffisante 90% du temps en période balnéaire. Les seuils de qualité suffisante en eau douce sont de 900 ufc/100 ml pour les E. coli et 330 ufc/100 ml pour les entérocoques. Franceinfo a repris cette méthodologie pour évaluer l'évolution de la qualité de l'eau depuis 2019 entre les mois de juin et d'août. Seules les données des points de mesure disposant d'au moins un résultat par semaine sur la période concernée ont été utilisées. Il s'agit du pont de Tolbiac, du pont Neuf et du pont de l'Alma. Il en ressort que la Seine reste encore très en deçà du niveau de qualité attendu par les autorités sanitaires.


Les 191 avis sanitaires de l'ARS d'Ile-de-France peuvent être téléchargés ici.

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